Participation au Challenge #19

Dernier chapitre, de l'histoire de Nakato.

Dans les profondeurs de la Forêt Froide, là où les racines du Roline serpentaient comme des veines sous la peau du monde, quelque chose naquit. Ou plutôt… quelque chose fut façonné. Là, au cœur d’un sanctuaire oublié, bercé par le murmure des sèves et les soupirs des anciens, le dernier et le plus parfait des champions corrompus vit le jour : Nakato, celui qu’on nommerait désormais le Soldat-Roi.

Il n’était plus homme. Son nom appartenait à un passé effacé, consumé par deux volontés antiques qui, en lui, avaient trouvé un réceptacle idéal. L’une était fluide, ancienne, végétale : le Roline, conscience primordiale aux racines étendues jusqu’aux premières heures du monde. L’autre était froide, dure, tranchante : Vizérelle, lame d’ombre née du chaos, assoiffée de conquête et d’absolu. Ces deux puissances, longtemps rivales, avaient trouvé en Nakato un terrain d’entente : sa chair, son esprit, son destin. Comme le bois absorbe la sève et l’acier épouse la forge, il s’était laissé faire. Il n’avait pas résisté.

On l’enferma dans un cocon de racines, de métal et de murmures. Cent nuits durant, l’Arbre-Monde lui insuffla son essence, le remodela dans ses forges vivantes. Sa peau devint écorce, ses os métal. Son esprit, lui, fut vidé, puis rempli — non plus d’idées, mais d’ordres. Non plus de doutes, mais de desseins. Et lorsque le cocon s’ouvrit, il ne tituba pas. Il marcha. Droit. Silencieux. Couronné de vrilles et d’ombre. Il était un roi.

Il n’eut pas besoin de lever une armée. Partout où il passait, la terre s’agenouillait. Les cités tombaient, non dans le tumulte des batailles, mais dans le silence d’une conversion lente et irrésistible. Le Roline, par sa main, infectait les sols, les pierres, les cœurs. En quelques jours, les villages devenaient des jardins fanés, les temples se muaient en autels de sève noire, et les rivières chantaient désormais en langue végétale. Les chevaliers de lumière, ses anciens compagnons, tentèrent de l’arrêter. Ils vinrent un à un, ou en escouades, bardés de serments et d’artefacts sacrés. Aucun ne revint. Certains furent engloutis. D’autres se prosternèrent. Tous furent changés. Nakato, le Soldat-Roi, trônait au cœur de l’Arbre. Un trône vivant, battant, enraciné en lui-même. Il ne parlait pas. Il n’avait plus besoin de mots. Il regardait simplement vers les cieux, patient, impassible, attendant le jour où la sève du Roline couvrirait la dernière lumière du monde. Et dans ce silence, un frisson traversait encore parfois son échine. Comme un écho lointain. Une mémoire qui refusait de mourir.