Participation au Challenge #20

Le marteau des mers

                                              Pendant des semaines de navigations au retour de leur voyage le plus long et le plus éprouvant, on entendait des bruits « de marteau » dans les 4 coins des différentes soutes, cales et cabines. Des rafales de coups martelés et sourds ponctuaient les nuits, sans pouvoir dire d’où ils venaient. Les deux premiers jours, planait la peur rentrée qu’un monstre marin finisse par engloutir le bateau. Ned avait bien tenté de rassurer l’assemblée en leur expliquant que si un animal d’une grande taille avait voulu les attaquer, il ne se serait pas annoncé avant les avaler. L’équipe n’accordait de toute façon pas beaucoup de crédit à ses paroles verbeuses et alambiquées, dont le son fluet n’arrivait pas toujours aux oreilles de la masse, composée essentiellement de sourds. Les jours passaient, les bruits continuaient .

                                             Un soir, Peet la fouine arriva paniqué dans la soute, et vomit toutes ses tripes sur la table de jeu en vociférant qu’il savait d’où venaient les bruits, qu’il avait vu Sam le traître revenir de sous le bateau par la corde avec laquelle il était passé sous la quille. L’assemblée se mit à rire grassement : Le traitre y était mort un mois auparavant. Quand les rires se turent, resta tout de même un silence plus lourd que d’habitude.

Trois semaines plus tard, les bruits se faisaient toujours entendre, imprévisibles. Des rumeurs commençaient à circuler, tantôt pour combler le doute, tantôt pour se tenir à l’écart de l’angoisse, était-ce la mère de Jojo qui venait le harceler pour avoir fuit le foyer ? ou un canular de tel ou tel pirate voulant semer le trouble. L’ambiance était lourde. Ned lui, se tenait à l’écart de ce marasme, et sortait plus que d’ordinaire de sa cabine, sans se mêler d’avantage aux libations nocturnes, traînant diverses caisses de la soute au pont.

                                            Jusqu’au moment où, alors que la nuit s’évaporait pour laisser place à une lumière encore bleue, Ned arriva au milieu de quelques pirates endormis, bouteilles à la main, près du mat. « Venez je vais vous présenter quelqu’un ! » les corps bougeaient à peine. « vous savez qui donne des coups de marteaux ? ». On se réveilla afin d’insulter le jeune garçon. Certains en éructant, d’autres avec une tendresse virile, tous se moquant de lui. Ned avait l’habitude, et il retourna stoïque au bord du pont en lançant de petits objets brillants par poignets. Il cria « vous pouvez vous lever ou vous allez ramper jusqu’ici ? »...Quelques pirates étaient déjà repartis dans leur brume alcoolique, ceux qui le regardèrent dé-saoulèrent instantanément. Bientôt un petit cercle de pirates claudiquant se créa autour de Ned qui regardait vers la mer. Les yeux écarquillés, les pirates essayaient de comprendre ce qu’ils voyaient : était-ce une tentacule ou un arc-en-ciel virevoltant au dessus de la rampe ? on devinait le boum venant de la rampe tout proche. Le capitaine s’approcha de ned et soupira « Alors c’est lui le marteau des mers ? » .

                                         « c’est un cétacé à tentacule, du jamais vu à ma connaissance » dit Ned au capitaine, qui l’avait convoqué dans ses cabines afin qu’il lui fasse un compte rendu de ses observations. «il faisait du bruit pour attirer notre attention, en enroulant le bout de ses tentacules comme un poing . Depuis que tout le monde l’a vu, il ne frappe plus capitaine, il a même montré le bout de son nez. L’empathie est réciproque. » Ned lui avait donné un autre nom : daulphinus octopodamimus Algus. Il pensait que celui ci, très timide et sans défense, se cachait parmi les forêts de varech dans son habitat naturel. Ses tentacules et son corps, extrêmement réfléchissants, lui permettraient de se fondre dans le décor. Ses pseudos nageoires autour des tentacules ayant la forme du varech, l’illusion était parfaite. « Pourquoi est-il sorti de son biome ? Pourquoi suit-il le bateau ? Pourquoi est-il friand des coquillages argentés que je lui lance ? Pourquoi nous fait-il des offrandes de poissons en retour ? Je ne sais pas capitaine. Il n’apparait pas dangereux…. Et je pense qu’il pourrait être une présence bénéfique. »

                                        Depuis, le bateau et lui font compagnonnage. L’équipage continue de l’appeler « le marteau », peut être pour mettre à distance l’émotion joyeuse que sa vue leur procure secrètement. Beaucoup lui lancent, maintenant, comme Ned, des coquillages argentés qu’ils ramassent diligemment à chaque escale. Pour avoir du poisson frais, bien sur...