Publié le 8 décembre 2019 par J-L dans Interviews - Concept art, creature, Dessin, Digital Painting, Interview - 11
Il y a des moments dans la vie où l'on a l'occasion de rencontrer des artistes talentueux qui, après de nombreuses années de travail et de difficultés, ont réussi à se démarquer et à imposer leur style. Peter Han en fait partie, et j'espère que cet interview permettra de restituer au mieux cet échange que j'ai eu l'opportunité d'avoir avec lui.
Peter est un enseignant, concept artist et illustrateur américain reconnu internationalement. Il se démarque par son style "Kim Jung Gi-est" et ses techniques de brushwork impressionnantes, la plupart du temps sans référence. À ce jour il est connu pour son travail d'enseignant en dessin dans plusieurs grandes écoles américaines comme CGMA. Mais il est aussi – et avant tout – concept artist et illustrateur dans des domaines variés, allant du jeux vidéo au cinéma. Partons donc à la rencontre d'un homme qui réalise des illustrations à l'encre beaucoup trop stylées sur des serviettes de restaurant, en autant de temps que toi tu as mis pour faire l'aller-retour aux toilettes après ton café, la preuve en image :
Rencontre et conditions de l'interview
J'ai rencontré Peter Han cet été durant un workshop de 3 jours à Beaux-Arts & Entertainement (que je recommande vivement à nos amis parisiens!). Peter est impressionant dans le sens où il est capable de dessiner à peu près tout et n'importe quoi sans réfèrences, dans n'importe quel angle. Il possède une bibliothèque visuelle excessivement riche, combinée à une connaissance pointue de l'anatomie (humaine comme animale) et de la perspective. Dans ses créations, il aime beaucoup accentuer les perspectives pour augmenter le dynamisme, dynamisme que l'on retrouve aussi dans sa manière d'utiliser les brushs.
Peter ne parlant pas un mot de français, cet interview à l'oral est directement traduite de l'anglais par mes soins. J'espère avoir réussi à retranscrire au mieux sa passion et ses conseils, bonne lecture l'artiste !
Place à l'interview !
Comment as-tu commencé le dessin et comment a démarré ta carrière professionnelle ?
J'ai toujours beaucoup dessiné, et ce depuis tout petit. J'observais beaucoup et j'aimais retranscrire sur le papier ce que j'avais vu, en le modifiant à ma manière. Mais ma carrière professionnelle a vraiment débuté durant mes études à Art center en Californie. Ça m'a beaucoup aidé et motivé d'être entouré de gens qui avaient la même passion, les mêmes envies et les mêmes objectifs que moi. Quand je suis arrivé à l'école je savais déjà plus ou moins ce que je voulais faire, mais la manière d'enseigner à Artcenter et les professeurs, qui m'ont rapidement orienté vers le concept art et le jeu vidéo, a été décisive quant à l'orientation de ma carrière. Il ne faut surtout pas négliger l'entraide et l'importance d'une communauté. Il faut rester ouvert à la critique : les retours que les autres (élèves comme professeurs) font sur nos créations permet de progresser beaucoup plus vite qu'en étant seul.
Tu ne dessines quasiment qu'à la ligne, quel rapport as-tu avec la peinture numérique et même la peinture en général?
Je ne saurais pas trop comment l'expliquer, mais j'ai plutôt tendance à voir instinctivement le monde en ligne et en "shapes" (formes) plutôt qu'en lumière, ombre, couleurs... Au contraire, la plupart de mes amis ont continué leur carrière artistique en privilégiant la peinture (traditionnelle comme digitale) alors que je suis toujours resté attaché à la ligne et aux volumes. Je pense que cette façon de voir les choses a été renforcée par mon éducation en design industriel à Art center où j'ai beaucoup pratiqué.
Malgré cela, j'ai toujours continué à pratiquer la peinture (l'acrylique, l'aquarelle et la gouache). Mais même quand je peins, je le fais comme si je dessinais : j'utilise des lignes et des gros coups de pinceaux. Je groupe et simplifie mes valeurs pour représenter la source de lumière et les différentes saturations. J'ai donc toujours gardé un intérêt naturel pour la ligne et les shapes, mais j'ai préféré investir mon temps et mes efforts dans ce qui me plaisait le plus, à savoir le dessin plutôt que de faire de la peinture juste pour faire comme les autres : je pense que c'est important de conserver du fun et du plaisir dans ce qu'on fait tout en restant assidu.
Quelle est ta plus grosse source d'inspiration?
Mon inspiration vient essentiellement des voyages qui me permettent de découvrir une multitude de paysages, de décors, de personnes. J'aime dessiner et m'inspirer directement de ce qui se passe sur le terrain, dans des musées, dans la rue, etc. J'ai aussi beaucoup été influencé dès mon plus jeune âge par les comics et les jeux vidéos, mais aussi l'animation. Aussi, rencontrer d'autres artistes, parfois même des maîtres comme Kim Jung Gi lors de mes voyages m'a permis d'échanger avec eux et de découvrir leur culture et me l'approprier dans mes créations.
J'observe continuellement le monde et ce qui se passe autour de moi, quelqu'un d'atypique qui passe dans la rue, un chien qui gambade, tous ces petits détails auxquels on ne prête pas forcément attention peuvent, à un moment ou un autre, ressortir dans ma tête et m'inspirer une nouvelle création. Je suis très spontané. Pour mes références visuelles, je vais donc très peu les rechercher sur internet, et je ne vais quasiment jamais sur des sites comme ArtStation même si c'est plein d'artistes incroyables. Je trouve que les créations sont toutes calquées sur les demandes de l'industrie, et que ce qui est mis en avant est toujours plus ou moins globalement la même chose.
Quelle est ta routine journalière ?
Je ne peux pas vraiment parler de routine puisqu'en fait elle change tous les jours. À moins que je ne décide de m'améliorer sur un point précis, mes journées de travail ne se ressemblent pas. Quand j'enseigne, ma journée va être centrée autour de ça, car c'est quelque chose que je dois impérativement faire, je ne peux pas y échapper (rire). Mais en ce moment je n'ai pas trop de cours à donner, alors je peux me lever tôt et travailler toute la journée, d'autre fois me lever plus tard et travailler jusqu'à la nuit. Je ne planifie pas spécialement, j'essaie plutôt de trouver un équilibre. J'ai tendance à fonctionner à court terme, je vais me planifier des objectifs pour dans 1 à 2 semaines, pas plus. C'est ma manière de fonctionner, je pense toujours à ce que je peux faire aujourd'hui et pas à ce que je pourrai faire demain, car si je n'agis pas maintenant quelqu'un d'autre est entrain de le faire à ma place.
Avais-tu développé une routine ou un entraînement particulier durant ta phase d'apprentissage en tant qu'étudiant? Faisais-tu beaucoup d'études ou davantage de créations personnelles?
Je ne créais pas indépendamment, j'ai toujours travaillé avec mes amis pour me motiver. On se disait ensemble "hey, on va à tel endroit aujourd'hui, tel endroit demain" etc. Et chaque semaine on faisait ça, du coup on était en constante stimulation. C'est important d'avoir des amis qui ont les mêmes passions, ça permet d'avancer ensemble et de s'épauler dans les moments de doute (et la vie d'artiste en est parsemée).
Pour la seconde question je ne suis pas d'accord avec le fait de séparer les études des créations, pour moi il faut au contraire les visualiser ensemble : une étude doit venir nourrir une création personnelle, elle peut aussi servir à venir débloquer une situation technique si par exemple tu n'arrives pas à dessiner la main dans un angle particulier, tu vas aller étudier l'anatomie de la main, la représenter sous plusieurs angles de vue... J'étudie d'abord et j'applique ensuite ce que j'ai compris dans ma création personnelle. L'un et l'autre sont indissociables.
Avec le développement des nouvelles technologies telles que la 3D, la VR (réalité virtuelle) ou des techniques digitales comme le photobashing, comment penses-tu qu'un artiste 2D puisse se démarquer et réussir à se faire une place dans le milieu?
Ce n'est vraiment pas simple et c'est assez intimidant pour un artiste 2D de faire face à toutes ces technologies. Mais je pense qu'au contraire il faut savoir s'adapter. Avec l'avénement de Photoshop et des logiciels d'animation, tous les artistes traditionnels qui n'ont pas sur faire la transition se sont vite retrouvés dépassés, parfois juste parce qu'ils se fermaient à ces technologies. On peut potentiellement devenir meilleur sans utiliser ces technologies mais il faut de l'expérience et du temps et, dans l'industrie, on en a très peu. Certains artistes pur 2D avec 20 ou 30 ans de carrière derrière eux peuvent être démarchés spécifiquement pour leur style et leur expérience, mais aujourd'hui c'est très ambitieux de vouloir se démarquer uniquement par son style sans profiter des avantages de certains outils. Ce n'est pas le meilleur choix à faire de mon point de vue.
Je pense qu'il faut, comme je l'ai dit, savoir s'adapter et peut être trouver un moyen d'intégrer quelques process simples dans son workflow qui peuvent grandement accélérer la productivité et aussi faire la différence dans une démarche de recherche d'emploi pour un studio. Il faut rester ouvert d'esprit, ne pas avoir peur d'expérimenter et rester ouvert face à tous les champs des possibles. On peut assimiler la 3D comme un outil, ce n'est pas parce qu'on intègre un peu de 3D dans son travail que l'on va forcément complètement délaisser le dessin, ce qui est la peur de pas mal d'artistes. On peut tout à fait rester un artiste 2D qui utilise la 3D en tant qu'outil sans en devenir dépendant. Pour résumer je pense qu'on peut tout de même se faire une place en tant que pur artiste 2D notamment dans le jeu vidéo et le concept art, mais maîtriser des bases 3D restera toujours un plus indéniable, notamment pour des juniors.
Quelle importance à pris l'enseignement par rapport à tes travaux personnels ou free-lance?
Enseigner à pris de plus en plus de place au fil de ma carrière pour être maintenant mon activité principale. Cela m'a permis de grandir en tant qu'artiste mais aussi en tant qu'humain. Enseigner pour moi c'est comme planter une graine, la regarder grandir d'elle-même et voir les fruits qu'elle va donner. Cela reste toujours compliqué car en tant qu'artiste ce n'est pas forcément intuitif et on ne peut jamais savoir, surtout au début, si on le fait bien et si on arrive véritablement à transmettre ce que l'on souhaite. Mais enseigner c'est donner, mais aussi recevoir, ce n'est jamais que d'un côté. Et mes étudiants me le rendent toujours bien, que ce soit d'un point de vue humain comme artistique, dans un futur proche ou lointain.
Quelle a été l'impact des réseaux sociaux sur ta carrière?
Les réseaux, et plus particulièrement Instagram, m'ont permis de faire connaître et re-connaître mon travail beaucoup plus facilement. À l'époque j'utilisais Facebook, et je l'utilise encore, mais je trouve qu'il a perdu en efficacité et en impact d'un point de vue business. Instagram est simple, efficace, il est un excellent moyen de promouvoir son travail. D'autres sites comme Artstation, que j'utilise beaucoup moins, sont aussi d'excellents vecteurs de publicité. Il est de nos jours primoridal pour un artiste de se montrer, il ne faut pas hésiter à se mettre en avant : si ton travail est bon, on finira par te remarquer. Une mauvaise présence, ou pire une absence des réseaux sociaux est un véritable suicide artistique à notre époque.
Pour tes créations personnelles ou en free-lance, préféres-tu travailler en digital ou en traditionnel? Quels outils utilises-tu?
Cela dépend à la fois du projet initial mais aussi de sa deadline. Pour de l'animation j'ai souvent plus de temps et je préfère le traditionnel. Au contraire, dans le jeux vidéos on a souvent besoin d'aller vite mais aussi de pouvoir proposer plusieurs itérations (versions) d'un même concept, le digital est alors plus approprié. En traditionnel j'utilise de l'encre directement, notamment des brushs (Pentel, Sakura brushpen, stylo plume, ...) et des liners (Microns, Staedler, ...). En digital painting j'ai une Wacom cintiq mais j'utilise de plus en plus l'iPad pro, que ce soit pour des créations personnelles comme pour des concepts art professionnels.
Pour toi quelle est la différence entre un concept artist et un illustrateur ?
J'aime plutôt parler de concept artist et de concept designer. L'illustrateur est toujours un concept artiste : il créé une ambiance, un univers, une histoire à travers le design de ses personnages, de ses environnements. Le concept designer va, quant à lui, compléter cet univers avec des costumes, des accessoires, etc. Il est vrai que pour la plupart des gens le concept art est surtout un processus, un développement, une résolution de problème mais pour moi c'est aussi créer une ambiance, des lumières et une histoire, ce que fait l'illustrateur. Une seule personne peut aussi réaliser l'ensemble et être concept artist et concept designer, mais il existe beaucoup de personnes dans l'industrie qui vont se spécialiser dans un domaine (environnements, accessoires, personnages, créatures, véhicules, ...).
As-tu des passes-temps qui ne sont pas en rapport direct avec ton travail? Si tel est le cas, penses-tu qu'il est important de pratiquer des activités totalement différentes de l'art en complément ?
J'ai plusieurs hobbies, mais ils finissent toujours pour la plupart par être reliés plus ou moins directement à l'art et la création. Par exemple, voyager est une de mes activité préférée, mais en même ça stimule beaucoup ma créativité de part mes rencontres que je fais et les lieux que je découvre. J'en profite aussi pour faire de la photographie par exemple. Sinon je fais du sport, notamment de la musculation, mais même là j'ai souvent du mal à me vider complétement la tête : à force de toujours solliciter mon cerveau pour observer, je ne peux pas m'empêcher de repérer un vêtement particulier, une forme intéressante ou une situation amusante, qui pourra m'inspirer par la suite (rire); j'analyse toujours tout, tout le temps. Sinon j'aime aussi les maquettes de vieux dessins animés, d'aviation et je collectionne beaucoup d'objets liés à la pop culture, mon atelier en est rempli!
Comment arrives-tu à gérer l'équilibre entre ta vie professionnelle (très occupée) et ta vie personnelle?
C'est l'un des aspects les plus compliqués à gérer, car il y en a en face de moi des gens, des personnes sensibles, humaines, et c'est très facile même pour la famille de se déconnecter d'eux quand je suis absorbé par la masse de travail. Entre l'enseignement, les projets personnels, professionnels et les voyages, j'ai très peu de temps pour moi, et encore moins pour les autres. Mais je suis confiant dans le fait que mes amis et ma famille me supportent, me soutiennent et comprennent que ce que je fais me rend heureux. Je n'ai pas trop à m'en faire de ce côté là. Mais il faut savoir garder un équilibre, pas forcément en passant beaucoup de temps avec eux car c'est impossible, mais plutôt par des petits gestes, des attentions. Prendre le temps de répondre au téléphone ou de prendre un café, même si je suis très occupé par exemple. La communication reste le plus important et permet d'évacuer des tensions qui s'accumulent si on les laisse traîner.
Pour les personnes souhaitant devenir, comme toi, illustrateur ou concept artist, quel est ton meilleur conseil?
Le meilleur conseil que je pourrais donner, c'est de toujours aller au bout d'un projet, ne pas l'abandonner en cours de route, qu'importe le temps que ça peut prendre. Cela permet par la suite d'avoir du recul et une vision sur son véritable niveau, et juger objectivement de la qualité d'une réalisation. On peut alors voir quels aspects pourraient être améliorés dans ce projet, et de quelles manières. Il n y a qu'en se ratant que l'on peut véritablement s'améliorer et progresser. Rester dans sa zone de confort n'a jamais fait avancer personne. Alors n'ayez pas peur de l'échec, recherchez-le!
Liens de l'artiste
Retrouve Peter sur les plateformes suivantes :
N'hésites pas à poster ton avis sur l'interview en commentaire et à mettre un gros pouce! Encore mille mercis à Peter Han d'avoir accepté de subir mon anglais approximatif et mes nombreuses questions, et j'espère qu'il t'aura inspiré tout autant que moi!
11 commentaires
Souris de Coton le 09 December 2019
Super interview ! Vraiment intéressant et motivant de lire son parcours Merci JL !!
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J-L le 09 December 2019
Heureux que ça t’ait plu souris :)
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pen-pusher le 09 December 2019
toujours agréable de lire les interview des parcours pro
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Ayaneth le 09 December 2019
Merci pour cet interview enrichissant, toujours bien de lire un parcours pro ^^ merci
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sergio le 09 December 2019
Oui un grand merci pour cette interview ! Riche d'enseignement et même si les parcours ou les techniques diffère d'un pro à un autre, on retrouve toujours...persévérence et remise en question .
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Terra le 09 December 2019
Très bonne interview d'une personne humble, je ne le connaissais pas avant cela mais ca m'a donné envie d'en voir plus sur cet artiste!
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Brushinobi le 15 December 2019
Merci beaucoup pour cette interview ! Comme d'hab c'est super enrichissant de voir comme le parcours et les choix d'un professionnel ont pu influencer sa carrière :-D
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Spartan de DPS le 18 December 2019
Encore merci Jean-Louis !
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J-L le 18 December 2019
Mais de rien Gaytan!
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Laurence Veron-Dor le 23 December 2019
J'ai justement vu deux vidéos sur Peter Han hier, et je découvre cet article grâce à FB, je l'avais raté avant. Super interview !
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Mil le 12 March 2020
Waouh, artiste incroyable. Merci pour la découverte!
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