Lumière(s) : Histoire et Art

Publié le 30 août 2017 par Spartan de DPS dans Histoire de l'art : Par thématiques - histoire de l'art, lumière - 6

Pour continuer dans la lancée des éléments, probablement le plus important d'entre tous : La lumière. J'ai décidé d'écrire cet article en deux parties pour éviter qu'il ne soit trop long à lire.

La lumière rend visible les choses. Dès l'apparition du feu à la Préhistoire, nous l'avons utilisé pour nous permettre de peindre au fond de cavernes et de grottes profondément enfouies. Il ne s'agissait là que de se servir de ses propriétés propres. Par la suite, les différentes civilisations se le sont appropriées pour représenter et surtout symboliser. Nous allons donc commencer par un tour d'horizon de sa symbolique au travers des âges, puis de sa représentation concrète, comment pouvons-nous la matérialiser dans une oeuvre ou la suggérer.

La lumière comme symbole

Dès que nous avons pu la contrôler, c'est-à-dire avec la découverte du feu, la lumière a pris un caractère symbolique. Symbole de grandeur, de chemin, comme l'allégorie de la caverne de Platon, mais aussi d'intelligence, on trouve des représentations et des matérialisations de celle-ci très tôt sur notre planète. Des philosophes antiques s'interrogent sur cette chose qui permet de rendre visible le monde qui nous entoure. D'autres, plus allégoriques, la présente comme une divinité envers laquelle les peuples doivent se tourner. Dans l'Égypte Antique, l'un des plus puissants des dieux étaient Râ (ou Rê), Dieu du soleil. Il était capable de voir tout ce qui se passait dans le monde. Sa source lumineuse se manifestait grâce au disque solaire placé au dessus de sa tête.

Détail du Dieu du Soleil Rê, parchemin

L'utilisation de la lumière comme symbolique a toujours été universelle. Ainsi, les civilisations précolombiennes, Mayas, Incas et Aztèques, possèdent elles aussi leur propre culte de celle-ci. Chez les Mayas, l'une des unités de temps reposait sur le calendrier solaire ainsi que le dieu qui l'accompagnait. Grâce au soleil, ils avaient pu en estimer la durée de l'année, qui était pour eux de 365,2420 jours. Ce qui est incroyable, c'est que les astronomes d'aujourd'hui l'estiment à 365,2422 jours, soit une différence de 17 secondes. La lumière est donc un bien précieux pour bon nombre de civilisations. Une légende de cette partie du monde est aussi fondée sur la création puis la destruction de plusieurs mondes (appelés soleils) successifs. Si vous souhaitez la lire, cliquez ici. La lumière est donc vectrice de mythes et de légendes, mais aussi de raison et de rationnel suivant les époques de notre monde.

Pour en arriver là où nous sommes aujourd'hui, je pense qu'il est nécessaire de faire un autre détour, allant du Moyen-Âge jusqu'à nos jours. Le Moyen-Âge fût la période d'obscurantisme par excellence, la lumière qui était "offerte" au peuple était de nature religieuse. Pour expliquer les tourments, l'Église possédait un pouvoir incommensurable et n'hésitait pas à se servir de la lumière pour asseoir sa domination.

Le Couronnement de la Vierge sur le fond éblouissant d'or guillochén Fra Angelico, vers 1435, Florence

 

Tout commence par l'architecture, qu'elle soit romane ou gothique, orthodoxe, byzantine, copte, tout est fait pour laisser entrer les rayons du soleil, par les ouvertures, agrémentées parfois de vitraux.

Regardez cette photo de la cathédrale Saint-Just de Narbonne, construite à la toute fin de l'époque médiévale. La lumière entre dans tout l'édifice par les fenêtres situées en haut des arches. Il y en a plus bas mais seulement derrière le Choeur. Cela peut signifier que les fidèles, se situant dans la Nef, sont dans l'ignorance, l'obscurité. De l'autre côté la parole de Dieu, transmise au niveau du Choeur les éclaire et mène sur le chemin de l'élévation. C'est aussi une raison de la hauteur des édifices religieux catholiques, il faut se rapprocher du ciel et donc de Dieu.

Par la suite, les nouveaux mouvements artistiques naissants aux 17ème et 18ème comme le Romantisme s'affranchissent en partie de la religion pour représenter des sujets plus communs comme des paysages et le peuple. Pour se démarquer des anciens courants, un homme italien, Le Caravage, va pousser très loin l'utilisation de la lumière dans ses tableaux en développant la technique du clair-obscur. C'est-à-dire mettre en exergue la lumière grâce à un fond sombre, ou l'inverse.

Le Christ à la colonne, Caravage, huile sur toile, 1607
La Flagellation du Christ, Caravage, huile sur toile, 1607 (estimé)

 

En ce qui concerne le mouvement romantique, les peintres cherchent à traduire des sentiments et à donner une vision personnelle, loin des carcans et des canons de l'époque. Ils utilisent la lumière pour manifester le fantastique et le mysticisme présents dans leurs esprits. Quelques peintures pour illustrer ce mouvement :

Le Voyageur contemplant une mer de nuages, Caspar David Friedrich, huile sur toile, 1818

 

La Mer de glace, Caspar David Friedrich, huile sur toile, 1823-1824
Médée Furieuse, Delacroix, huile sur toile, 1836-1838

 

William Turner est quand à lui un sujet à part, aussi appelé "Peintre de la lumière", ses tableaux pré-impressionnistes sont aujourd'hui les plus représentatifs dans l'utilisation de sources lumineuses

Venice: The Dogana and San Giorgio Maggiore, Joseph Mallord William Turner, huile sur toile, 1834

 

L'Incendie de la Chambre des Lords II, Joseph Mallord William Turner, huile sur toile, 1834

 

Le Grand canal de Venise, Joseph Mallord William Turner, huile sur toile, 1835

 

Les avancées technologiques du XXème et XXIème ont permis aux artistes de s'affranchir de la toile, et de donner une matérialisation physique à la lumière. Ainsi donc la lumière a toujours été un symbole puissant de religion et de vérité, jusqu'à la Renaissance, et a fini par être détourné pour revenir à sa fonction originelle, c'est-à-dire de rendre visible ce qui ne l'est pas. Grâce à la science, elle n'est plus cantonnée au support de la toile ou du papier : la découverte et l'avancée de la photographie, le développement de l'électricité, et la création des domaines numériques en changent l'utilisation.

 

L'art fait-il surgir la lumière ?

Jusqu'au XIXème, les uniques sources lumineuses étaient le soleil et le feu. Après la découverte de l'électricité, elles se multiplient mais change aussi de propriétés physiques. Plus blanches, blafardes, elles induisent un autre traitement qu'auparavant. Les nouveaux moyens picturaux permettent aussi de s'affranchir de la peinture. La photographie est directement basée sur la lumière. Sans lumière pas de visible, donc pas de photos. Les premiers essais remontent tout de même aux alentours de 1790, mais ce n'est qu'en 1827 que Nicéphore Niepce réussi à fixer une image photographiquement capturée grâce à un processus chimique complexe. Ensuite vint Louis Daguerre, qui réussi à réduire le temps de pose pour une photo et à développer de manière mondiale cet art avec son appareil le Daguerréotype. Après bien d'autres améliorations, la photo a donné lieu à des chefs d'oeuvres tout aussi connus que les peintures célèbres. L'homme n'a donc plus besoin de savoir dessiner pour exprimer sa vision des choses, toute une nouvelle partie de la population accède à l'art.

 

Vieux appareils photos

 

Point de vue du Gras, Nicéphore Nièpce, première photo fixée sur un support, 1827

 

Vol descendant du Pélican, Étienne Jules Maret, chronophotographie, 1887

 

Grand Central Terminal, New York, Hal Morey, 1930

 

Avec la pratique photographique, ce n'est pas l'art qui fait surgir la lumières des oeuvres, mais bien l'oeuvre qui apporte la lumière car elle est indispensable pour créer l'image ici. Elle ne peut être imaginée, c'est le matériau de base.

 

La peinture a elle aussi évolué avec son temps. Avec l'apparition du cinéma, les cadrages filmiques sont devenus cadrages picturaux. Pour illustrer cette phrase, penchons-nous sur le peintre Edward Hopper ( 1882 - 1967 ) qui est pour moi un des maîtres de la lumière du siècle dernier. Ses peintures sont fortement inspirées du cinéma des années 30 et 40. Ses sujets sont des plus banals mais il réussit à en extraire une sorte de poésie intemporelle. Regardez son plus célèbre tableau, Nighthawks (1942) :

L'image se concentre sur le bar et les quatre protagonistes au dedans. La rue est éclairée par les néons du bâtiment. Une chaleur froide se dégage de l'endroit et semble briller. Les personnages semblent perdus dans leurs pensées, en attendant que la nuit passe. Inconsciemment, nous avons une scène nocturne banale qui se transforme, avec la lumière, en une image puissante narrativement parlant ou chacun peut laisser libre court à son interprétation du tableau. Cette fois-ci, il est bien question de mettre en avant de manière artistique une lumière sans vie, sans âme, qui se retrouve dans les nouvelles villes. C'est un processus inverse à celui de la photographie.

Avec l'essor de la technologie, le dernier point important à aborder est la lumière matière. Les artistes ont cherché à s'émanciper du cadre donné par la peinture. Dès 1950, les esprits se libèrent et permettent de faire rentrer les spectateurs dans les oeuvres en utilisant l'espace tout autour. Plus besoin de toile quand la pièce où l'on se trouve se transforme elle-même en oeuvre d'art. Les instigateurs des environnements "Light & Space" cherchent à changer la perception de l'espace et la lumière par les spectateurs. Les notions de cette esthétique deviennent "immersion" et "éphémère". Grâce à un croisement habile entre le monde tangible et la technologie, le spectateur est immergé dans un espace à la fois matériel et immatériel dont le seul but est de permettre de vivre une expérience personnelle et singulière. Le regarde sur l'oeuvre change, ce n'est plus elle qui guide notre compréhension mais bien nous-même qui en tirons une lecture individuelle et personnelle. Voici deux œuvres pour voir comment l'on peut s'affranchir du cadre pictural :

 

James Turell, installation lumineuse, date inconnue

 

Robert Irwin, Light & space, 2007

La lumière est un sujet complexe et très long. Évidemment, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas écrites ici. Il s'agit de généralités pour mettre en contexte le traitement de celle-ci dans les oeuvres. J'aurais aussi pu parler de dimension psychologique de la couleur, du rapport couleur-perspective-lumière, mais il aurait fallu faire un article sur 6 mois. Il ne faut pas oublier non plus que la lumière induit forcément l'ombre. Elle fait partie de l'oeuvre en elle-même, elle tangue entre matériel et immatériel, elle est une emprunte de l'absence, fait apparaître ou disparaître les choses. Elle donne l'illusion de volume, de profondeur, et revêt elle aussi un côté symbolique dans sa façon dont elle est présentée (la mort, les ténèbres, le silence, etc...). Ainsi, la lumière ne peut vivre sans l'ombre, elles se complètent dans leur immatérialité.

La suite de l'article sera consacrée à la façon de représenter la lumière lorsque l'on veut travailler avec.

 

 

Auteur : Spartan de DPS

Depuis toujours animé d'une passion et d'une soif de partage intarissable et aujourd'hui concept artist, illustrateur et formateur, Spartan (Gaétan Weltzer) est le co-fondateur et premier formateur de DigitalPainting.school. C'est également la personne qui doit supporter Léonardus quotidiennement. Des fois cochon-danseur, dessinateur de saucisse volante ou porteur de string de Noël. A votre service.
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