Publié le 20 décembre 2018 par Mello dans Histoire de l'art : Chronologiquement - 7
A priori, l'expression d'art académique peut porter à confusion, en effet, l'adjectif académique, transparent, désigne bien l'appartenance à une académie ou à une société savante et non pas un courant artistique. Pourtant, c'est aussi le nom que l'on donne à un mouvement qui va incarner le XIXe siècle, il se reconnaît facilement à sa production portée sur le genre historique, la peinture d'Histoire, flirtant sensiblement avec l'orientalisme, des sujets politiques, militaires, religieux ou allégoriques.
Cependant, ce mouvement tire bien son nom à l'Académie artistique dont elle relève, à savoir l'Académie des beaux-arts créée par ordonnance en 1816. Toutefois, cette académie de 1816 n'est pas créée ex nihilo, en réalité elle est l'héritière de l'Académie Royale de Peinture & de Sculpture qui fut créée en 1648. Fondée sous l'initiative de Charles Le Brun, elle se logea sous la protection royale pour éviter la tutelle des corporations et se choisit pour devise Libertas artibus restituta, la liberté rendue aux artistes1.
La nouvelle Académie Royale était une innovation spectaculaire dans l'enseignement et la diffusion des savoirs artistiques, faisant concurrence à l'ancien usage, de la formation d'un élève aux côtés d'un Maître dans une transmission quasi héréditaire, au profit d'un enseignement plus scolaire dont l'aboutissement reposait généralement sur les concours. La plupart des peintres et des sculpteurs rejoignant l'Académie quittaient alors le modèle des corporations propres aux artisans pour celui très moderne d'une forme d'université de pairs. L'Académie des beaux-arts reprend ce modèle et procure l'enseignement du dessin avec par la suite la peinture, sculpture, architecture, gravure, etc... aux français2 âgés de quinze ans au moins à trente ans. Le cursus se termine par le concours des prix de Rome, précédé d'épreuves préalables. L'enseignement, tant pratique que théorique est dispensé par trente-deux professeurs, tous membres de l'académie et soumis à un conseil supérieur.
La conséquence directe est l'aboutissement d'une quête entamé par la Renaissance avec la reconnaissance de la Peinture et de la Sculpture comme de véritables Arts libéraux; jouant alors sur le statut des créateurs et faisant d'eux de véritable artistes et non plus des artisans à la recherche du statut d'artiste3. Ayant achevé cet idéal de la Renaissance et partageant les mêmes idées, l'Académie a naturellement récupéré le goût de l'Antiquité pour en faire une institution. Ainsi, l'anatomie, la géométrie, la perspective, l'étude de modèle ont pu constituer par exemple la base de l'enseignement tels que nous le verrons plus loin.
Ces idées et ces principes, malgré quelques adaptations vont perdurer dans le temps, ayant été constitué, à tort ou à raison, comme une science objective. A tel point que lorsque l'Académie sera dissoute par la Première République, cette science sera préservée par le mouvement du Néoclassicisme et reprise pour en faire une institution avec la création de l'Académie des Beaux-Arts en 1816. C'est dans ce renouveau institutionnel que va se développer l'art académique en tant que tel.
I Histoire
1) Âge d'Or
Bien qu'il n'y ait pas eu d'Académie relative aux Arts en France de 1793 à 1816, cela ne veut pas dire que les artistes et leurs sciences ont disparu. La pensée et la doctrine ont pu survivre dans les créations Néoclassiques, notamment sous le règne de Napoléon. Toutefois, le point de départ de l'Art Académique s’incarne dans l'acte de naissance de l'institution des Beaux-Arts sous le règne de Louis XVIII. Le Néoclassicisme a pu influé l'Académie dans ses débuts mais les autres mouvements en formation ont également pris de l'importance dans cette nouvelle Académie.
D'un point de vue politique, on peut considérer cette première période allant de 1816 à 1850 environ comme un Âge d'Or pour l'Académie des Beaux-Arts. Celle-ci ne rencontre aucune difficulté particulière à l'encontre des peintres et de la création artistique, demeurant par ailleurs l'autorité suprême dans le monde de la peinture en France. Sur le plan de la création artistique, il est bon de rappeler qu'il serait téméraire de considérer qu'une période ou une autre de l'Académie ait été plus fertile ou plus élégante dans la production artistique de ses membres. Les œuvres produites sont différentes selon les artistes, leurs goûts et leurs styles indépendamment de l'état dans lequel se trouve l'institution. Il faut oublier le préjugé historique selon quoi, un âge d'or politique se superpose parfaitement avec la culture et les arts. Après tout, les cygnes chantent au crépuscule de leurs vies.
La présence des artistes dans la vie académique comme élèves ou académiciens, est l'un des seuls moyens disponibles à l'époque pour intégrer officiellement le monde des arts, d’asseoir sa réputation d'artiste et de bénéficier des commandes publics ou de l'intérêt d'une riche clientèle. Tout comme sous l'Ancien Régime, la force de l'Académie s'incarne dans les Salons dont la tradition puise directement à ceux de l'Académie Royale et des Salons de la Révolution. L'objectif de ces Salons est de permettre de présenter aux visiteurs les derniers chef d’œuvres réalisés par les académiciens, les peintures exposés sont préalablement jugées par un jury.
2) Le début des conflits
L'Académie des Beaux-arts va cependant connaître des difficultés croissante à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, en effet, pour entrer au Salon les œuvres doivent obtenir l'accord d'un jury de l'Académie. La présence de ce jury est nécessaire d'un point de vue pratique, permettant effectivement de faire le tri dans les œuvres proposées et de limiter leur nombre sinon trop important. C'est également un moyen de vérifier la concordance des exposants avec les idées de l'Académie, une sorte d'évaluation finale des artistes par leurs pairs dont la consécration devrait être faite par le public.
Le jury est donc à la fois un organe nécessaire au bon fonctionnement pratique du Salon, mais également un instrument qui peut susciter l'agacement des artistes refusés en raison de leurs créations dissidentes des idées académiques. C'est ce qui a fini par arriver, après une longue cristallisation, c'est sous le Second Empire que le concept d'académisme va être opposé à celui de modernité. Ces derniers ne s'imposant alors qu'en bousculant l'art officiel des peintres.
En 1863, l'agacement a évolué en colère, le jury du Salon désigné par les membres de l'Académie avait en effet refusé plus de 3000 œuvres sur les 5000. Le Salon fut alors vigoureusement contesté par les artistes exclus. En conséquence, Napoléon III fit mettre en place un Salon des refusés4 :
« De nombreuses réclamations sont parvenues à l’Empereur au sujet des œuvres d’art qui ont été refusées par le jury de l’Exposition. Sa Majesté, voulant laisser le public juge de la légitimité de ces réclamations, a décidé que les œuvres d’art refusées seraient exposées dans une autre partie du Palais de l’Industrie. Cette exposition sera facultative, et les artistes qui ne voudraient pas y prendre part n’auront qu’à informer l’administration qui s’empressera de leur restituer leurs œuvres. »
Cette proposition de l'Empereur fut contestée par l'Académie et les artistes agrées. Le nombre important d’œuvres refusées à accéléré la mise en place de ce Salon qui a officialisé sans le savoir la confrontation entre le goût officiel et les modernes. Toutefois bien que le jury semble a priori avoir fait de l’excès dans son tri, il faut également savoir qu'en 1848, la Deuxième République avait supprimé ce jury et que le Salon avait été littéralement envahit d’œuvres à la qualité très variable et à la réaction partagée des publics. C'est le futur Napoléon III, à l'époque Président de la République qui avait été obligé de rétablir le jury !
Le travail du jury ne devait pas être de tout repos, placé entre le marteau et l'enclume, leur travail de tri était donc nécessaire pour faciliter l'organisation du Salon. Pour déterminer le parti-pris du jury il faudrait observer le nombre de refusés par rapport aux œuvres proposées sur chaque année tout en prenant compte la surface d'exposition disponible. Un tri alors abusif dudit jury permettrait de montrer qu'il défendait surtout la pensée académique, tandis qu'un tri pratique (ce qui n'empêche pas la défense des idées académiques) montrerait un aspect davantage pragmatique du Jury.
3) Âge de plomb
A l'inverse de cette première période dorée de l'Académie, la fin du siècle inaugure une période plus sombre, en effet, la Troisième République à l'inverse des régimes précédents ne va pas imposer d'art officiel. En conséquence, l'Académie des beaux-arts n'étant plus soutenu dans ses pensées, la création bénéficie d'une liberté de création de plus en plus importante tout en mettant sur un plan d'égalité ces différentes créations. Certains politiciens, souvent francs-maçons5, cherchant effectivement a appliquer aux arts les idées révolutionnaire encourageant alors la création de Salon hors de la juridiction étatique.
En 1897, tout en accordant liberté et autonomie aux artistes d'avant-garde, plusieurs artistes modernistes feront leur entrée au Musée du Luxembourg, c'est-à-dire dans une institution officielle pourtant réservé aux commandes de l’état. C'est le Conseil d'État qui avait tranché, arguant que ces œuvres faisaient de fait partie de l'histoire de la peinture française. Cette date symbolise de fait la défaite de l'Académie face aux idées nouvelles de l'art moderne et contemporain, même si en réalité sur toutes les œuvres proposées à l'entrée - un peu moins de la moitié furent rejetées.
Le mouvement académique finit alors par s'étioler pour disparaître complètement face aux courants avant-gardistes qui se multipliaient. Certains de ces peintres d'avant-garde finirent par entrer dans l'Académie et celle-ci devint en conséquence plus éclectique dans sa production. Claire Barbillon souligne qu'après avoir été rejeté « le naturalisme fut adopté par les peintres les plus officiels de la troisième République», le symbolisme réunissant quant à lui « des artistes formellement assez traditionnels ».
L'art académique finit par disparaître complètement aujourd'hui au profit de l'art contemporain et moderne tel qu'on les entend aujourd'hui. En tant que vaincu, l'historiographie dénigre désormais le mouvement en le qualifiant parfois de pompier et cela dès la fin du XIXe siècle. Cette qualification faisant référence aux casques brillants de certains personnages visibles sur les grande compositions ou alors à l'idée d'une peinture au style pompeux.6
II Les principes et leurs conséquences
L'Académie des beaux-arts a récupéré par héritage toute une partie de la doctrine artistique de l'Académie Royale, la plupart de ces principes ont été récupéré par les peintres par habitude du savoir faire ou par croyance en ces doctrines. Certains principes ont sûrement pu bénéficier de nouvelles influences et de nouvelles idées au XIXe siècle mais les sources et les documents disponibles pour l'Académie Royale permettent de se faire déjà une très bonne idée de ceux a quoi pouvaient ressembler les idées de l'Académie des beaux-arts. Les sources contemporaines étant plus vagues concernant la période du XIXe siècle.
1) les différentes idées de l'Académie
La Hiérarchie des genres
La hiérarchie des genres n'est pas une idée neuve, chaque civilisation ayant considéré que tel ou tel genre était supérieur ou inférieur aux autres, les grecs par exemple considérait la nature morte avec mépris. Cependant, ce n'est qu'au XVIIe siècle que les artistes et les théoriciens français vont classer les genres par ordre de noblesse. L'Académie Royale de Peinture et de Sculpture va officialiser les choses et considérer ainsi les peintures d'histoires comme les plus nobles, et en faire ainsi sa thématique favorite.
Les autres genres: le portrait, la scène de genre, le paysage et la nature-morte sont considérés avec moins d'intérêt puisqu'ils composent, en un sens, un "détail" de la peinture d'histoire qui les regroupe tous en lui. Cependant, ce regroupement des genres en un thème n'est pas le seul atout de la peinture d'histoire. Elle consiste en effet à représenter au travers un sujet religieux, historique, littéraire, mythologique ou allégorique, une interprétation, un message moral ou intellectuel à portée poétique. Une idée inspirée d'une maxime latine: ut pictura poesis, la peinture est comme la poésie.
En conséquence, la supériorité de la peinture d'histoire est évidente aux yeux des académiciens. Il faut beaucoup plus de compétence au peintre qui doit savoir faire des visages réalistes (portrait), des scènes vue en grand angle (paysage) et les détails de l'environnement (nature-morte). Cette idée de supériorité technique, couplée à la supériorité morale, va perdurer longtemps même si Théophile Gautier rapporte au Salon de 1846 que «Les sujets religieux sont en petits nombres, les batailles ont sensiblement diminué... » pour conclure ensuite « ce qu’on appelle peinture d’histoire va disparaître… la glorification de l’homme et des beautés de la nature, tel paraît être le but de l’art dans l’avenir.»
En soi, la peinture d'histoire n'allait pas disparaître avant la fin de la première guerre mondiale avec la chute de l'académisme comme mouvement artistique. Cependant la pensée de Théophile Gautier reste à nuancer quant au but de l'art qu'allait lui rendre l'avenir, l'art dit moderne ou contemporain ayant bien d'autres caractéristiques et volontés avant celle de s'intéresser à une glorification de l'homme et des beautés naturelles.
La primauté du dessin sur la couleur
Pour les académiciens, les traits du dessin priment sur les couleurs, l'artiste créant la forme et la sensation de profondeur sur une surface plane avec le crayon avant tout. Ainsi par exemple, on peut considérer la question de la perspective. En effet, peu importe l'usage des couleurs, si le tracé de la perspective est mauvais, l’œuvre ne saura pas convaincre le regard du spectateur. Il en est de même pour les proportions et tout autres éléments de structure du dessin. En conséquence, sans le dessin il n'y a pas de véritable peinture, cette idée qui peut sembler désuète aujourd'hui tire pourtant son origine de l'histoire de la fille d'un potier : le mythe de Butadès7. Cette histoire montre que le dessin est l'ancêtre de la peinture et de la sculpture, une croyance partagée par les artistes de l'Académie Royale et certainement reprise par l'art académique. Ingres expliquait ainsi que « le dessin comprend les trois quarts de ce qui constitue la peinture ».
Cependant, cette primauté du dessin n'était pas considérée comme un absolu, les artistes du XVIIe siècle ont lancé dans leurs débats ce sujet à polémique, créant alors ce qu'on appelle la querelle du coloris8. Cette querelle est un débat esthétique qui anima les peintres en France, où la question était de savoir si la peinture est une activité de l’esprit dans laquelle prédomine le dessin, expression d’une forme idéale, ou bien si elle est une activité de l'émotion (opposé à l'esprit) au moyen de la sensualité du regard et de la couleur.
Cependant, l'ensemble de la direction de l'Académie Royale avec Charles Le Brun en tête, était favorable à la primauté du dessin. Celui-ci constituait en effet l'essentiel de l'enseignement de l'institution et reconnaître sa sujétion à la couleur ou un niveau équivalent aurait sûrement mis à mal une partie de l'enseignement. En tout cas, tous les artistes de l'époque n'étaient pas favorables à une prédominance absolue du dessin, le théoricien de l'art Roger de Piles a pu faire l'éloge des œuvres de Rubens pour les couleurs plutôt que pour leur dessin.
Si l'Académie Royale va préserver la supériorité du dessin dans l'enseignement et dans la théorie, les artistes du XVIIIe pourront tout de même développer davantage les couleurs même si la question reste en suspend durant le siècle suivant entre le néoclassicisme et le romantisme.
La connaissance du corps humain et de la nature
La connaissance de l'Anatomie humaine était d'une importance majeure à la Renaissance, suivant la maxime de Protagoras, l'homme est la mesure de toute chose, les artistes se devaient de connaître les bonnes proportions pour représenter l'être humain de la façon la plus vraisemblable possible. Cependant cette étude ne repose pas uniquement sur l'étude des nus, en effet contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'étude des nus se fait en dernier, les élèves démarrant avec l'observation des sculptures antiques. L’exercice est au delà de la copie, il consiste à idéaliser, à sublimer le corps humain.
Il ne s'agit pas seulement de copier la nature, mais de l'idéaliser conformément à l'art antique et de la Renaissance. Le dessin du corps humain est l'expression supérieure et l'incarnation de l'idéal le plus élevé. Cependant, le corps humain n'est pas le seul élément à connaître et à idéaliser, les artistes doivent également savoir représenter la nature, c'est-à-dire l'ensemble de la création.
Mais comme pour l'homme, c'est par l'imitation des anciens que passe l'imitation de la nature. Ingres expliquait ainsi: «Il faut copier la nature toujours et apprendre à bien la voir. C'est pour cela qu'il est nécessaire d'étudier les antiques et les maîtres, non pour les imiter, mais, encore une fois, pour apprendre à voir. (...) Vous apprendrez des antiques à voir la nature parce qu'ils sont eux-mêmes la nature : aussi il faut vivre d'eux, il faut en manger.». Toutefois pour mieux comprendre la démarche, on peut la résumer de façon suivante: l'élève doit imiter le maître pour obtenir la maîtrise, et les maîtres ayant cherché à imiter la nature, les élèves imitent alors de facto la nature. L'exercice étant pour eux facilité car ils n'ont pas forcément à refaire l'exercice spirituel difficile de s'approprier sensiblement (par les sens) la nature pour la retraduire sur une surface artificielle en deux ou trois dimensions (peinture ou sculpture).
Privilégier l'atelier au travail en plein air
Les artistes de l'Académie sont censés privilégier le travail en atelier à celui sur le terrain. Cela ne les empêche pas de pouvoir travailler à l'extérieur, toutefois, leur travail ne doit se résumer qu'aux esquisses ou aux ébauches pour des compositions plus importantes. On peut ainsi prendre l'exemple de Delacroix qui après avoir effectué un voyage sur les terres du Maghreb a pu effectuer un nombre considérable de croquis pour ses tableaux, récupérant et s'inspirant alors des couleurs vives qu'il a pu y voir pour créer ses peintures d'histoires. C'est cette démarche que vont avoir la plupart des artistes orientalistes du XIXe siècle.
Ainsi, cette idée académique est une conséquence plus qu'une cause doctrinale en tant que tel. En effet, si on prend le temps de comprendre l'intérêt de ces artistes pour la peinture d'Histoire, il est logique de délaisser le travail en plein air pour celui de l'atelier. Les artistes devaient faire des recherches plus poussées pour créer leur personnages, les replacer et vérifier la conformité de leur composition avec l'histoire dont ils s'inspirent. Impossible pour les artistes académiques de trouver suffisamment de ressources en plein air pour peindre une scène médiévale, un épisode biblique dans l’Égypte des Pharaons ou encore une bataille épique entre deux armées.
Les autres artistes, plus souvent paysagistes ou peintres de nature-morte ne bénéficient pas de cette contrainte, leurs sujets étant la nature, il est normal qu'ils l'étudient dans son environnement. On retrouve cette même démarche chez les élèves, qui pour apprendre à dessiner l'anatomie humaine, sont placés face au nu d'un modèle choisi soigneusement par leur maître.
Réaliser des œuvres « achevées »
Les artistes de l'académie avaient également pour mission de réaliser des peintures au rendu totalement terminé, les œuvres devaient être achevées. Le modelé des figures devait être doux, les lignes franches et les coups de pinceaux invisible, Ingres écrivait à ce propos que «La touche si habile qu’elle soit, ne doit pas être apparente, sinon elle empêche l’illusion et immobilise tout. Au lieu de l’objet représenté, elle fait voir le procédé, au lieu de la pensée, elle dénonce la main.»
Il s'agit alors de rendre l'illusion du réel, être en mesure de percevoir la main du peintre était une forme de faiblesse que n'acceptait pas les peintres de l'Académie. Cette démarche est contraire à celle des nouveaux peintres d'avant-garde qui jouant sur les couleurs et les motifs, ne font que dévoiler cette main que rejette l'Académie.
Mais ces différences de goût peuvent se comprendre, avec l'arrivée de la photographie au XIXe siècle, la possibilité de rendre en un instant la réalité met à mal le travail des peintres dans le genre du paysage, du portrait ou de la nature-morte. Les peintres d'Histoire de l'Académie ne sont pas concernés par le changement photographique, puisque par définition, ce qu'ils représentent par la peinture n'existe pas, plus, ou relève d'une allégorie poétique. La nécessité de rendre des œuvres achevées est devenu un critère pour l'Académie des beaux-arts pour protéger son travail face aux artistes qui pour survivre, ont adapté leurs peintures. Cette idée devenue doctrine étant en effet inexistante du temps de l'Académie Royale.
2) thématiques conséquentes
Orientalisme
Le premier thème qui ressort le plus souvent est celui de l'orientalisme, en raison d'un article étudiant en détail le mouvement nous n'y reviendrons pas davantage ici.
Histoire gréco-romaine
L'un des thèmes favori se trouve être celui de l'histoire greco-romaine, c'est peut-être d'ailleurs l'un des motifs qui a poussé certains à surnommer l'art académique, l'art pompier. Cependant, Jean-Léon Gérôme a inauguré le style pompéiste en l'honneur des ruines du même nom. Le style pompéiste étant naturellement plus proche étymologiquement de l'histoire romaine et de Pompéi que n'a pu l'être la dénomination péjorative pompier.
Portraits et scènes de genre
Enfin les derniers thèmes vedettes de l'art académique que l'on peut souligner sont certainement les scènes de genre et les portraits. Les scènes de genre, très proches de la peinture d'histoire, ont pour seul différence la valeur du sujet traité où à l'inverse des peintures d'histoire les peintres vont mettre en scène une image du quotidien, dans une composition soignée qui met en avant le charme, la beauté et plus généralement l'exotisme que ne saurait rendre exactement un cliché photographique.
Quant aux portraits, ils sont de deux types, soit conformes à la définition que nous avons pu évoquer dans un article précédent, soit portés sur l'imaginaire, en représentant une personne idéalisée sous la forme d'une allégorie. Ou alors pour mettre en avant le charme et la séduction du corps, généralement féminin. Ainsi, bien que similaire à un portrait, il s'agit surtout de mettre en avant la beauté féminine.
En conclusion, la boîte de Pandore
A l'ouverture du musée d'Orsay en 1986, la présence des peintures académiques avaient suscité de vives polémiques en France, nombreux sont les esprits qui y avaient vu une réhabilitation des artistes pompiers et avaient considéré cette mise en avant comme une forme de révisionnisme réactionnaire. Ces polémiques montrent bien que malgré le siècle qui nous sépare de la bataille artistique entre l'Académie des beaux-arts et les artistes d'avant-garde, les rancœurs des penseurs modernes n'ont pas encore totalement disparues.
A l'époque, Jean-Léon Gérôme qui était le maître absolu de la peinture académique avait menacé de démissionner de sa chaise de professeur des Beaux-Arts, qualifiant ces nouvelles toiles modernes d'ordures, et voyant leur entrée au musée du Luxembourg le signe de «la fin de la nation».
La peinture académique était soutenu en majorité par l’État et la peinture moderne étaient vivement critiquée à l'époque et demeurait sans aucun soutien étatique. L'ironie de l'histoire veut que de nos jours, on se retrouve dans la situation inverse, où les lauréats de l'art contemporain tournent en dérision l'art académique tout en étant soutenu par l’État. Mais au contraire de l'art académique qui était très populaire à l'époque, l'art contemporain a peu de public et sans l'appui de ces institutions mises en place par l’État sa survie peut même paraître improbable.
D'un point de vue historique : il faut comprendre qu'en tant qu'héritière du romantisme, du néo-classicisme et de l'Académie Royale, la peinture académique était fortement marquée par la tradition. La persistance du système académique et de la doctrine artistique ont poussé les artistes à se situer par rapport à ce système dont la prise de position est devenue une nécessité avec le développement de l'appareil photo, accentuant les désaccords entre les artistes académiques et modernes qui pour survivre ont dû rejeter le système. Le XIXe siècle est alors une période de changement, où les artistes doivent être étudiés au cas par cas, la plupart d'entre eux ont pu accepter les règles, d'autres, sans remettre totalement ce système en cause, ont évolué en marge avec les difficultés qui vont avec pour faire reconnaître leurs œuvres.
En conséquence, que penser de la peinture académique ? Disparition heureuse ou perte inestimable ? Aujourd'hui, bien que cette querelle semble avoir disparue, elle influence toujours les penseurs, les artistes, et les visiteurs dans une position parfois tranchée ou l'on adopte parfois sans trop savoir l'une ou l'autre position. Cependant, l'existence de l'un ne sous-entend pas obligatoirement la disparition de l'autre.
Les principes doivent être strictes mais l'application souple, adaptés aux circonstances et aux besoin du temps. Dans le monde artistique du XIXe siècle, beaucoup d'artistes, confronté à la concurrence violente de la photographie ont dû et voulu changer leur façon de peindre. Ces changements ont beaucoup apporté alors au monde de l'art. Les créations impressionnistes sont splendides et personne de bien sensé aujourd'hui ne peut condamner par exemple les nénuphars de Monet.
Mais la pensée académique, totalement mise à mal, a pourtant elle aussi son importance. La beauté évidente des œuvres, la rigueur de l'apprentissage et le soin porté à la composition et à la vraisemblance font de l'art académique une composante essentiel de l'art. Le défaut de ce mouvement étant celui de ne pas avoir su s'assouplir aux circonstances ses principes (sans pour autant les renier !) et d'apporter une réponse à des artistes en difficulté.
Il faut donc garder une position équilibrée et condamner les excès, ne pas enfermer l'art derrière les barreaux dorés de l'Académie mais ne pas non plus le lâcher à tout vent pour prendre tout et n'importe quoi pour de l'art. Cette destruction des idées académiques est comme l'ouverture de la boîte de Pandore, désormais ouverte quoi qu'on veuille à toutes les déviances possibles, il convient aux artistes de ramener l'équilibre, récupérer le meilleur des deux mondes.
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7 commentaires
Spartan de DPS le 20 December 2018
Passionnant ! J'ai appris énormément de choses et j'ai découvert nombre de peintures splendides que je n'avais (étrangement) jamais vues. Merci Rodolphe ! :D
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Brushinobi le 21 December 2018
Encore un article super intéressant et très instructif, merci beaucoup ! :-D
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Vince le 25 December 2018
Un énorme merci pour cette article passionnant, beaucoup de choses apprises. Et le travail de Lawrence Alma-Tadema est juste remarquable, merci pour la découverte !
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guillaume gdr le 24 June 2019
je découvre cette série seulement maintenant, merci !
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Ninja le 15 September 2019
L’un de mes styles préférés, l’un de ceux que je trouve aussi les plus parfaits et complexes au niveau de la qualité de la peinture, de l’apprentissage et de la beauté. J’espère qu’un jour, je serais bonne suffisamment pour réussir à m’approcher de ce style et peindre ne serait-ce qu’un tableau! Merci beaucoup pour ce cours 😊
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SKARR le 01 April 2020
Alma-Tadema, Siemiradsky 👍👍
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JT.B le 18 July 2020
Article riche et passionnant. Et une analyse très juste des points qu'on peut avoir sur l'académisme aujourd'hui ! Merci
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