Les genres dans la peinture : le Portrait

Publié le 12 septembre 2018 par Mello dans Histoire de l'art : Chronologiquement - Portrait - 3

Le portrait est un genre à part entière que l'on retrouve en deuxième position derrière la peinture d'histoire, devant les scènes de genre et les natures mortes. Cette hiérarchie des genres, qui peut sembler arbitraire, a été constituée par plusieurs artistes et penseurs dans l'histoire. En l'occurrence, ces auteurs qui ont vécu de la Renaissance au XIXe siècle ont considéré que le plus excellent des thèmes à représenter était celui des scènes d'histoire en raison de l'érudition, de la noblesse, la diversité des sujets, comme la multiplicité et la complexité des éléments à peindre.

A priori, la place du portrait dans la hiérarchie peut surprendre ; en effet, si la peinture d'histoire est première en raison de la difficulté technique et de la noblesse des sujets, on devrait voir la scène de genre suivre puisqu'il ne lui manque que la noblesse de ses sujets. Pourquoi le portrait alors? Pour comprendre alors l'importance du portrait au yeux de ces penseurs et artistes il faut s'intéresser à la définition de ce genre de la peinture .

Le verbe portraire a le sens de tracer et de dessiner, c'est le trait que l'on tire pour former le contour de quelque chose, il est lié à l'idée de représentation. Dans l'italien du XVIe, on distingue imitare (donner image de quelque chose) et ritrarre (donner la copie littérale trait pour trait de quelque chose), il est donc difficile de traduire imitare par imiter en français, car imiter revient plus exactement à copier1. Cette évolution est rapidement prise en compte en Italie et en Espagne et n'arrive que plus tard en France avec la diffusion tardive des dictionnaires et des théories picturales .

André Félibien en 1676 expliquait ainsi que portraire « est un mot général qui s'étend à tout ce qu'on fait lorsqu'on veut tirer la ressemblance de quelque chose; néanmoins on ne l'emploie pas indifféremment à toutes sortes de sujets. On dit le portrait d'un homme, ou d'une femme, mais on ne dit pas le portrait d'un cheval, d'une maison ou d'un arbre. On dit la figure d'un cheval, la représentation d'une maison, la figure d'un arbre. »

Ainsi le portrait se définit comme la représentation de quelqu'un2 de façon ressemblante. Toutefois, cette notion de ressemblance ne suffit pas ; il est important de souligner qu'on cherche à représenter une personnalité propre, un individu. Cette notion d'individu est extrêmement importante : dans le portrait on cherche à représenter l'âme, cet élément mystérieux qui anime le corps et rend la personne unique.

D'un point de vue technique, le portrait peut se décliner de façons très diverses, les peintures de portraits peuvent représenter une personne seule ou plusieurs personnes : des familles, une classe professionnelle, un couple, les exemples sont nombreux. Le portrait peut aussi connaître des variations dans la proportion de corps visible, en étant en pied, en buste, etc. La représentation du visage peut également être de profil, de face ou de trois-quarts... On comprend donc que le portrait est un sujet bien plus diversifié qu'il n'y paraît.

Frans Hals, Officier et subalternes de la compagnie de Saint George, Frans Hals Museum, 1639
Frans Hals, Officier et subalternes de la compagnie de Saint George, Frans Hals Museum, 1639.

I. Histoire

A) Origine & Antiquité

Le portrait a rempli des fonctions très diverses, sacrées comme profanes, mais il est toujours étroitement lié à la mémoire, au temps et au souvenir. En faisant réaliser leurs portraits, les hommes et les femmes ont cherché à laisser une trace de leur existence, comme on peut le faire aujourd'hui avec la photographie. Une histoire retrace parfaitement l'origine et les enjeux du portrait, il s'agit du mythe de la fille du potier de Butadès ou mythe de Butadès que l'on peut retrouver dans les écrits de Pline l'Ancien.

« Ce potier dut son invention à sa fille, qui était amoureuse d'un jeune homme; celui-ci partant pour l'étranger, elle entoura d'une ligne l'ombre de son visage projeté au mur par la lumière d'une lanterne; son père appliqua de l'argile sur l'esquisse, en fit un relief qu'il mit à durcir au feu avec le reste de ses poteries, après l'avoir fait sécher. »

Jean-Baptiste Regnault, Dibutade ou l'origine de la peinture, Versailles, 1786
Jean-Baptiste Regnault, Dibutade ou l'origine de la peinture, Versailles, 1786

Ce mythe, historique ou non, est majeur pour les arts. C'est à partir de cet événement (historique ou allégorique) que les théoriciens et les artistes vont tirer l'ancêtre commun de toute les disciplines artistiques, notamment le dessin qui va donner la peinture et la sculpture3. Ainsi, tout en trouvant les références aux origines des arts, on retrouve également l'expression de cette dévotion mémorielle. Ce portrait d'argile permit à la jeune fille de conserver le souvenir de son amant. D'un point de vue historique, l'extension de ce mythe se retrouve non pas dans la peinture, mais dans la sculpture ou plus exactement le moulage : les romains prenaient soin en effet de saisir l'empreinte du visage du défunt avec un masque de cire, qui faisait alors l'objet d'une dévotion particulière. Cette méthode a été reprise au XVIIIe siècle en France où il a existé à Paris tout un artisanat de masques de cire ou de plâtre pour conserver l'image des défunts. L'une des seules exceptions picturales dans l'Antiquité subsiste avec les portrait de Fayoum du IIe siècle dans l’Égypte romaine.

Anonyme, portrait d'un jeune homme aux cheveux bouclés, Metropolitan Museum of Art
Anonyme, portrait d'un jeune homme aux cheveux bouclés, Metropolitan Museum of Art

Toutefois, le portrait a eu son importance dans l'histoire de l'Antiquité. Suétone rapporte en effet la légende suivante où César, jeune questeur en Espagne, tombe sur un portrait d'Alexandre à Cadiz : « Il se mit alors à gémir et, comme écœuré de son inaction, en pensant qu'il n'avait encore rien fait de mémorable à l'âge où Alexandre avait déjà soumis toute la terre, il demanda tout de suis un congé pour saisir, le plus tôt possible, à Rome, les occasions de se signaler. »

B) Moyen-Age & Renaissance (trecento)

1) Moyen age

En Europe, la représentation visant à la ressemblance remonte, pour la plupart du temps à l'époque moderne (1453-1789), dans la peinture flamande et les primitifs italiens du XVe siècle. Le Moyen-Age, quant à lui, est une période longue et très inégale selon les civilisations mais demeure sur ce point étonnamment homogène dans le monde européen. L'usage du portrait, comme de la peinture s'est raréfié pour ne devenir qu'anecdotique. Le premier portrait officiel dans la peinture occidentale est celui du Roi de France, Jean II le Bon.

Anonyme, Jean II le bon, musée du Louvre, 1350
Anonyme, Jean II le bon, musée du Louvre, 1350

Au XIIIe siècle, comme auparavant durant le Moyen-Age, la peinture occidentale, la plupart du temps au service de Dieu et de son église, était essentiellement utilisée pour représenter l'image des Saints, c'est à dire des hommes qui sont généralement morts bien avant leurs représentations picturales. Il est donc naturellement impossible pour les artistes de représenter fidèlement une image réaliste et historique de ces hommes, empêchant donc de les ranger comme des portraits.

Il existe peut-être une exception particulièrement intéressante dans la personne de Jésus-Christ ; en effet, au premier temps du christianisme jusqu'au IV siècle, les différents artistes chrétiens qui ont pu représenter le Christ le faisaient selon leur habitude et leur code culturel, à défaut d'avoir une description de Jésus dans les Evangiles. En l'occurrence, les romains représentaient le Christ comme un jeune homme imberbe avec des cheveux courts (voir le personnage central).

Anonyme, sarcophage de Junius Bassus, musée du Vatican, 351
Anonyme, sarcophage de Junius Bassus, musée du Vatican, 351

 

Anonyme, le Christ soignant une femme blessé, catacombe romaine, 300-350
Anonyme, le Christ soignant une femme blessé, catacombe romaine, 300-350

Puis au milieu du IVe siècle les choses ont soudainement changé, une peinture dans les catacombes romaines montre une représentation du Christ similaire à la notre aujourd'hui. Selon Isabelle Piczeck, il n'y a que deux possibilités pour expliquer ce changement radical. Soit l'artiste a connu une tradition issue d’hommes qui ont vu Jésus de son vivant, soit il a vu une autre représentation du Christ qu'il a récupéré. Le temps que cette nouvelle image circule, ce n'est qu'à partir du VIe siècle que cette représentation change définitivement pour celle-ci.

Anonyme, Christ Pantocrator, Monastère de Sainte-Catherine au Sinaï, VIe siècle
Anonyme, Christ Pantocrator, Monastère de Sainte-Catherine au Sinaï, VIe siècle

Cette première représentation connue du Christ va s'étendre jusqu'au IXe siècle où l'image triomphe désormais après les crises iconoclastes. La question est de retrouver l'origine de cette iconographie. Or, le seul document valable demeure être le Linceul de Turin4. Le chercheur Paul Vignon (1865-1943) a cherché dans les représentations du Christ Pantocrator les similitudes entre les différentes marques présentées par le linceul et ces icônes. Depuis, les spécialistes s’accordent pour dire qu'on peut retrouver jusqu’à treize de ces seize marques sur le Christ Pantocrator de la coupole de Daphni et quatorze sur celui de l’abside de Cefalù en Sicile, qui datent respectivement des XIe et XIIe siècles. Et plus remarquable, jusqu'à 8 marques sur l'icône du Christ Pantocrator du monastère Sainte Catherine du mont Sinaï qui date bien, elle, du VIe siècle .

En conséquence, si l'on admet que le Linceul de Turin est vrai, toutes les représentations christiques médiévales seraient alors en réalité des portraits. Si cela permet de montrer la qualité de la foi de ces hommes qui ont cherché à être au plus près de la réalité historique du physique de Jésus-Christ afin d'être plus proche de lui et Dieu, on ne peut cependant pas parler de portrait au sens strict malgré cette ressemblance ; en effet les représentations médiévales se reposent plus sur une idée de ce à quoi ressemblait le Christ plus que sur son image précise. C'est pour cette raison que les représentations du Christ sont souvent différente dans le traitement de la barbe, des cheveux ou même du visage.

La peinture laïque, quant à elle, n'a quasiment pas utilisé le genre du portrait dans le monde européen. Les historiens de l'art expliquent qu'il s'agit fort probablement des conséquences de la croyance chrétienne dans le salut. Il empêcherait la mise en place du portrait dans le sens où celui-ci aurait pu être considéré comme une forme d'orgueil narcissique. L'orgueil étant le vice par excellence, il est donc condamné formellement par l'Eglise et a emporté indirectement le portrait avec lui. Même les représentations des Rois ne cherchaient pas la ressemblance, ceci sûrement en raison des médiums utilisés (avec les enluminures, les sculptures (peintes aussi d'ailleurs) stylisées à la gothique) et de la difficulté technique qu'un portrait suppose.

2) Renaissance

C'est donc avec la Renaissance qu'on va pouvoir exiger de l'artiste du portrait qu'il reflète la singularité de la personne vivante. Les raisons de ces changements sont multiples ; en premier lieu, la période de la Renaissance voit les hommes s'intéresser à l'Antiquité, redécouverte permise par les liens entre l'Empire Romain d'Orient et l'Italie, mais également par l'usage et les techniques de la peinture qui ont évolué.

Sandro Botticelli, portrait d'une jeune femme Simonetta Vespucci Gemaldegalerie, 1476-1480
Sandro Botticelli, portrait d'une jeune femme Simonetta Vespucci Gemaldegalerie, 1476-1480

Avec ce goût pour l'antique, les artistes vont se tourner davantage vers l'homme, son corps et sa nature. Contrairement à ce qu'on peut dire parfois, cet intérêt nouveau ne doit pourtant pas être considéré comme un détournement des hommes de Dieu ;  l'homme, comme le monde, étant créé par Dieu, il est logique d'apprécier la création pour mieux apprécier Dieu. De plus, le Christ était Dieu, mais n'était-il pas un homme aussi ? L'évolution se fait donc facilement et permet une certaine continuité, l'Eglise elle-même ne va pas hésiter à mettre à jour ses iconographies.

Cette évolution des mentalités artistiques permet alors au portrait de se développer légitimement, notamment dans cette Italie divisée en cités-États où les rivalités bourgeoises et politiques vont pousser les notables à marquer les esprits par l'image de leur faste et de leur personne. Par ailleurs, les portraits seront également l'occasion de développer davantage les fonds, le fond doré céleste du paradis ne convenant plus pour représenter des personnes vivant sur terre.

Hans Holbein le jeune, le marchand Georg Gisze, Gemäldegalerie, 1532
Hans Holbein le jeune, le marchand Georg Gisze, Gemäldegalerie, 1532

Ce goût du portrait va devenir considérable, à tel point que l'on va pouvoir en faire un jeu ; l'un des plus illustres exemple est celui de Catherine de Médicis au château de Blois qui faisait cacher les noms des personnes et l'on devait reconnaître la personne représentée. Si la peinture était bien faite, le spectateur gagnait.

C) Moderne & XIXe siècle

Les différentes formes du portrait sont fixées par la Renaissance mais ne se développent vraiment qu'à partir de 1540. Au XVIIe siècle le goût de portraire est tel qu'il fait fureur ; il permet en effet de placer l'individu dans la société, et plus encore, d'illustrer la progression dans la hiérarchie sociale, les classes bourgeoises cherchant à rejoindre l'aristocratie par la robe, et la haute noblesse cherchant à maintenir son rang5. Le portrait devient alors un moyen de s'affirmer, de Paraître pour son prochain ou de maintenir son Être.

Anton van Dyck, Emmanuel Philibert de Savoie, Dulwich Picture Gallery, 1624

Toutefois, comme dans toute inflation, on trouve une dévaluation. Le caractère exceptionnel du portrait se désagrège et au fur et à mesure que la production augmente, la nécessité de mettre son plus beau costume disparaît, le portrait intime fait alors son apparition tandis que le portrait d'apparat va devenir l'apanage des détenteurs du pouvoir6. La demande est si forte que les portraitistes sont débordés.

Elisabeth Vigée le Brun, autoportrait, musée des offices, 1790
Elisabeth Vigée le Brun, autoportrait, musée des offices, 1790

Le portrait intime va se développer sous forme de miniature, petit objet monté avec un portrait à l'intérieur et qui aura le XIXe siècle pour âge d'or... Un genre aussi important dans la production picturale comme dans la qualité ne pouvait pas rester à l'ombre de l'intérêt des chercheurs et des peintres aussi longtemps. En France, c'est au XVIIe siècle que les peintres et les théoriciens vont s'intéresser aux Beaux-Arts de façon scientifique. C'est avec la fondation de l'Académie royale de peinture et de sculpture que les arts s'établissent pour de bon comme sciences humaines et que l'on considère la peinture de portrait comme une spécialité inférieure à celle de la peinture d'histoire, mais supérieure aux autres. Toutefois, devant la prolifération croissante des portraits, les artistes commencent à s'en détourner à quelques exceptions près. Mais l'opinion générale des connaisseurs peut se résumer à cette remarque violente de l'historien de l'art allemand Winckelmann en 1755 : «Les mauvais peintres qui, par faiblesse, ne parviennent pas au beau, le cherchent dans les verrues et dans les rides ».

Le portrait devient un genre dépréciatif chez certains érudits, car beaucoup de monde cherche à se le représenter en dehors de ce qu'il est parfois, faisant du portait un élément mensonger et illégitime, selon l'Académie Royale. Au Salon de l'Académie, institué depuis 1737, la critique artistique se crée et cherche parfois à se démarquer par la virulence du propos ; le portrait devient alors un sujet de prédilection pour les critiques négatives. Toutefois, il continue de se répandre et permet à certains artistes de nous livrer d'excellents portraits, dans le milieu aristocrate et bourgeois comme dans le milieu royal.

Élisabeth Vigée LeBrun, Lady Hamilton en Bacchante, Walker Art Gallery, 1790
Élisabeth Vigée LeBrun, Lady Hamilton en Bacchante, Walker Art Gallery, 1790
[Élisabeth Vigée Lebrun, Marie-Antoinette à la rose, Versailles, 1783
Élisabeth Vigée Lebrun, Marie-Antoinette à la rose, Versailles, 1783

Cependant, ce n'est pas tant le portrait en lui-même qui est critiqué. En effet, comme le résume l'exemple du chroniqueur Louis-Sébastien Mercier (1740-1814) on se plaint surtout de la prolifération des portraits de gens insignifiants, exécutés par « une foule de barbouilleurs vivant de leurs pinceaux ignares mais qui sont assortis à une classe nombreuse : ils peignent comme certains perruquiers coiffent ».

L'invention de la photographie au milieu du XIXe siècle va trouver immédiatement un débouché dans la réalisation des portraits. Le rendu était réaliste et fidèle à la réalité, ce qui était parfait pour ces fameux portraits intimes que l'on aimait s'offrir au XVIIIe et au XIXe pour transmettre son souvenir aux proches et à la famille. On a pu croire alors qu'avec la photographie la peinture allait cesser en raison de son réalisme. Mais le procédé physico-chimique ne retire en rien à l'artiste sa capacité à créer et à composer son image. Les peintures d'histoire vont se poursuivre sans inquiétude majeure, c'est la portraiture seulement qui va connaître un grand coup de frein. Mais les autres mouvements qui vont naître comme les impressionnistes auront ainsi l'occasion de s'intéresser à la peinture pour elle-même, qu'elle soit du genre des portraits ou des paysages et natures mortes. Ce qui va intéresser ces nouveaux mouvements, ce sont la lumière ou les effets de couleurs qu'ils vont pouvoir étudier dans leurs œuvres.

Vincent van Gogh, Autoportrait, Art Institute of Chicago, 1897

Le portrait n'est plus celui de clients extérieurs, mais les modèles sont issus de leurs familles et leurs amis. Au début du XXe siècle, les artistes poursuivent dans la même voie, s'affranchissant alors des contraintes de ressemblance visuelle, au profit d'expérimentations graphiques comme le fait Picasso où le modèle est à peine reconnaissable dans le style cubiste.

II La nature du portrait

Le portrait est un genre plus complexe qu'il peut le laisser croire, ainsi pour l'Aretin (1492-1556) « le ciseau ne doit pas tracer les traits d'une tête avant que la renommé ne l'ai fait ». Cette conception rigide indique que le portrait ne concerne pas une lignée mais une collectivité, ce qui n'est pas inexact si l'on suit la plupart des théoriciens. Pour Bocchi par exemple le portrait peut-être doué d'une efficacité exemplaire plus qu'un discours moralisateur, comme nous l'a illustré précédemment l'exemple de Suétone concernant César.

Le portrait n'est pas une simple représentation physique d'un être humain ; il a une nature particulière et des caractéristiques qui lui sont propres. En l'occurrence, le portrait répond à la volonté de transcrire le caractère d'une personne, sa façon d'être ; à travers le corps c'est l'âme de l'individu qu'on cherche à illustrer. Ainsi, le portrait peut révéler également l'image que se fait d'une personne le portraitiste, ou ses sentiments envers elle. Cet aspect peut alors amener le peintre à s'éloigner de l'apparence physique du modèle ; mais, plus que de vouloir tromper, on cherche à impressionner. On ne veut pas illusionner mais stimuler l'imagination et diriger la volonté du spectateur pour montrer ce que l'on souhaite, et non pas seulement la réalité physique.

On peut pour cela utiliser différentes expressions faciales. Les possibilités pour donner sens à un portrait sont multiples : jeux de lumière, maquillage, coupe de cheveux, lieu du portrait, flou ou netteté. Selon les coups de crayon eux-mêmes, le portrait peut paraître doux ou agressif.

A) Le portrait de César, c'est César.

L'un des exemples les plus importants de cette nature particulière du portrait est sûrement celui des portraits royaux. Gabriele Paleotti (1522-1597) en tire la théorie des deux corps : « Les princes chrétiens, que Dieu à placé dans leur rang comme des lois vivantes et des instruments de la justice et sagesse divine pour le gouvernement des peuples, portent deux personnes ensemble ; une personne publique et une personne privée. »

Cette théorie est très importante et est sûrement l'une des plus riches des théories artistiques, notamment en France où, plus qu'une théorie picturale, elle devient une véritable composante de la vie politique. Le Roi de France, en effet, dispose de ces deux natures, l'une privée où l'on identifie la personnalité individuelle de Louis (XIV, XVI, &c...) de Bourbon, François (I) de Valois, &c... et l'autre publique qui correspond à la charge royale qui vient se superposer et dominer la personne du Roi. Le Roi de France l'est par la naissance, c'est donc Dieu qui l'a placé sur le trône, il ne peut donc abdiquer, il ne peut abandonner et doit protéger et travailler pour le bien des peuples que Dieu lui a confié. Par ailleurs, les Lois de la Couronne s'imposent au Roi qui ne peut les changer. Ces lois fondamentales sont une véritable Constitution sous l'Ancien Régime. Ainsi, même un Louis XIV ne peut espérer faire des ces fils bâtards des héritiers potentiels à la Couronne même en les légitimant : la personne du Roi est soumise à la Couronne.

Hyacinthe Rigaud, Louis XIV, musée du Louvre, 1701

Il y a alors en la personne du Roi, une perfection sacrée et unique que ni le peintre, ni le narrateur ne peuvent représenter. Ce rappel est important car il permet de mieux cerner les effets de cette théorie sur la peinture. Tandis que le poète et l'orateur peinent à rassembler des adjectifs toujours insuffisants, le peintre peut, d'un seul coup, dire l'essentiel. C'est pour cette raison que le portrait de Louis XIV est aussi célèbre, car plus qu'un portrait, il s'agit presque d'une icône, celle que défendait Félibien pour qui le portrait du Roi devait être celui de la Monarchie triomphante, hors du temps.

On le comprend davantage à la lecture de l'ouvrage de Louis Marin, le portrait du Roi, où l'auteur explique avec justesse que représenter c'est présenter à nouveau ''dans le temps'' ou/et dans l'espace ''à la place de''. Cette idée se retrouve dans le livre plus ancien d'Alberti7 : « La peinture recèle une force divine qui non seulement rend les absents présents comme on dit que l'amitié le fait, mais plus encore fait que les morts semblent presque vivants. Après de nombreux siècles on les reconnaît avec un grand plaisir et une grande admiration pour le peintre. »

Jean Clouet, François I, musée du Louvre 1527
Jean Clouet, François I, musée du Louvre 1527

Cette icône du pouvoir royal représentée par le portrait du Roi permet à l'ensemble de la société de se retrouver. La Couronne de France étant le facteur d'unité qui unissait les différents peuples de France (Bretons, Normands, Lorrains, Basques ou Occitans), tous les peuples de France comme toutes les fonctions sociales pouvaient ainsi être reliés à la tête de la société, allégorie ultime de la communauté. Cependant, la France n'est pas le seul pays à bénéficier de cet usage du portrait royal ; en réalité, toute communauté humaine se construit ainsi des allégories dans lesquelles l'ensemble de la société va se souder. C'est pour cette raison d'ailleurs que l'usage du portrait royal a évolué aujourd'hui pour devenir le portrait présidentiel que l'on retrouve dans l'administration.

Ainsi, sous l'Ancien Régime, à partir de la fin du XVIIe siècle, les portraits officiels sont largement diffusés. Ils permettent d'afficher l'adhésion des provinces à la collectivité et à son mode de gouvernement, mais le plus surprenant peut-être est que les particuliers eux-mêmes ont souvent cherché à obtenir son portrait du Roi8. Cependant, contrairement à ce qu'on peut trouver parfois, la surabondance de tels portraits, notamment dans les résidences privées, n'est pas la marque d'un culte de la personnalité. Car le culte de la personnalité est  rendu obligatoire par le pouvoir politique, tandis que le portrait royal est la conséquence de cette envie des particuliers eux-mêmes d'obtenir du pouvoir royal : témoignage d'affection, et incarnation parfois de l'ambition de briller par l'honneur de posséder un tel portrait. En effet, seul l'atelier des copistes du Roi était habilité à réaliser des portraits royaux et le nombre de commandes était tel que certains commanditaires se plaignaient du retard cumulé pour l'obtention d'un portrait royal9.

Maurice-Quentin de La Tour, Louis XV en armure, musée du Louvre, 1748
Maurice-Quentin de La Tour, Louis XV en armure, musée du Louvre, 1748

B) La question de l'idéalisation et de la ressemblance

Dans le cadre du portrait la ressemblance a toujours été recherchée car on représente une personne précise et chacun possède des traits qui lui sont propres. De facto, la ressemblance dépend pour beaucoup du savoir-faire technique. L'observation des portraits dans l'histoire témoigne bien de ces perfectionnements techniques dans le temps ou au contraire de leur éloignement selon le style du mouvement artistique dominant de l'époque.

Toutefois la ressemblance pose indirectement le problème de l'embellissement qui a pu jouer sur la perception du portrait. Cette volonté d'embellir son image n'est pas nouvelle, que l'on retrouve aujourd'hui avec Photoshop et certains filtres Snapchat, on le retrouve parfois dans les portraits d'antan. Les différents théoriciens de la peinture en ont régulièrement parlé et les avis divergent selon les époques et les cultures. On peut néanmoins la résumer ainsi : embellissement du portrait dans les traits éphémères, comme les cernes ou des boutons est considéré comme compréhensible et même légitime car il s'agit de rendre l'état normal du visage en retirant l'exception qui fausse la perception de la personne. En revanche l’embellissement dans la forme du nez, des yeux ou de tout autre partie du visage est considéré comme une forme de mensonge car non conforme à la réalité10.

Cette conformité à la réalité, à la ressemblance va faire la réputation d'un portrait, comme de son peintre. La quête du conforme est toutefois facile lorsqu'on dispose de la personne vivante à ses côtés ou de photo, mais comment faire lorsqu'il s'agit d'une personne ayant vécu il y a longtemps? Cette question peut sembler curieuse mais les théoriciens se la sont posée et on trouvé un semblant de réponse.

Une idée se lance en effet selon laquelle les traits caractéristiques dus aux passions de l'âme déterminent les caractères d'un visage. Léonard de Vinci s'est opposé à cette idée, même s'il a été séduit par certains aspects de cette théorie qui pouvait faciliter le travail des artistes. Il s'agit de la Physiognonomie ; déjà présente dans l'Antiquité, Aristote la décrivait comme « la science des passions naturelles de l'âme et des répercussions qu'elles font subir au corps en se changeant en signe de physionomie. ».

C'est une théorie qui dès l'Antiquité avait déjà ses détracteurs, mais elle a pu intéresser les artistes en leur permettant de reconstituer les traits des personnages du passé dont on n'a pas de portrait authentique.

En conclusion

De nombreux théoriciens se sont penchés sur la nature de ce qu'est exactement un portrait, leurs ambitions étaient d'en avoir la vision la plus objective et la plus proche de la réalité afin de créer des portraits toujours plus excellents. Cette ambition difficile s'accomplit néanmoins lorsque l'on considère que le portrait vise à la représentation d'un individu précis, avec la ressemblance la plus exacte à une idée que se fait le peintre dans son œuvre, l'ambition d'un portrait réussi étant alors de rendre à nouveau présents les absents, peu importe l'usage exact de cette nouvelle présence : souvenir personnel, politique ou exemple moral.

Rousseau nous donne peut-être une autre piste dans son roman de la Nouvelle Héloïse lorsqu'il évoque le rôle de la peinture. Il explique en effet que le portrait représente l'âme et non le corps, le corps étant alors l'objet intermédiaire par lequel le peintre est obligé de passer pour illustrer l'âme, ce que le peintre ne parvient pas forcément à faire, car, selon ce roman, seul le regard amoureux atteindrait le véritable visage de l'être aimé, alors que le regard du peintre n'y atteint pas.

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1 Edouard Pommier, Théorie du portrait de la Renaissance aux lumières, Collection bibliothèque illustré des histoires, Gallimard, 1998 introduction

2 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/portrait/62813 consulté le 07/08/2018

3 On retrouve le dessin dans les contours de l'ombre, la peinture dans l'image que va reproduire cette jeune femme à partir de cette ombre et la sculpture, par le moulage que va en tirer le père ému pour sa malheureuse fille.

4 La question des origines du Linceul reste encore polémique aujourd'hui, toutefois, en raison du résultat des dernières recherches (la bordure a été retouché au Moyen-âge mais par le cœur du Linceul dont le mode de tissage est antique et typique de la Palestine) et de l'impossibilité technique des hommes du Moyen-Âge de créer ce genre de linceul : le Linceul de Turin semble être vrai. L'objectif de cet article n'étant pas de traiter cette question, en cas de doute, cherchez et vous trouverez.

5 Il y aurait beaucoup de chose à dire sur les catégories sociales d'Ancien Régime, on résume souvent à tort l'existence de trois classes avec un tiers-état pauvre, un clergé et une noblesse riche. Or, chacune de ses catégories avaient une partie de sa population appartenant à la haute société et l'autre non.

Ainsi par exemple : un riche bourgeois des villes avait parfois bien plus d'importance dans la société qu'un petit noble de province (même si elle tirait sa noblesse d'une lignée anoblit par l'épée). La noblesse de robe tire d'ailleurs ses origines de la bourgeoisie, ayant rendu service à l’État et que le Roi anoblissait pour récompense. Ce qui par ailleurs suscitait une rivalité très forte entre la noblesse d'épée aisé et cette nouvelle noblesse de robe très argentée.

Un prêtre de campagne lui, bien que respecté était souvent aussi pauvre que les paysans avec qui il vivait, tandis qu'un évêque vivait souvent comme un Prince.

Un paysan, un artisan, un commerçant pouvait s'élever au rang de bourgeois suite à une bonne gestion et des circonstances favorables.

6 Les Portraits flamands montrent bien que les Rois ne sont pas les seuls à se faire portraiturer.

7 Alberti Livre II de son traité ''on paintings'' traduction anglaise de John R Spencer Yale U.P, 1956

8 Bien que n'étant pas des peintures, les Places Royales sont peut-être l'exemple le plus frappant de ces initiatives privés indépendante de la volonté du Roi. La Place Royale Louis XV (aujourd'hui Place Stanislas) à Nancy a été construite par Stanislas Leczinski entre 1751 et 1755 pour honorer les vertus du Roi suite à la victoire de Fontenoy, Stanislas écrit en effet : «Louis XV vient de donner la paix à l'Europe, et une paix d'autant plus glorieuse qu'elle ne ressemble à aucune de celles qui l'ont précédée et dans lesquelles la puissance supérieure en force et en succès n'oubliait jamais de se dédommager des frais de la guerre. Ici, malgré le bonheur et la rapidité des conquêtes, quelle modération à s'en désister! On n'a écouté que la justice, quel désintéressement! Quelle magnanimité dans le traité d'Aix-la-Chapelle. Louis XV n'y stipule rien pour lui. S'il a combattu, s'il a triomphé, c'est pour forcer ses ennemis à poser les armes et à satisfaire à ses engagements, ses lauriers le touchaient moins que la paix qu'il cherchait. Il n'a cédé qu'à l'amour qu'il doit à ses peuples; il se proposait moins de vaincre que d’apaiser l'univers, aussi, par son héroïque désintéressement, a t-il enfin démenti la fausse perversion où l'on était que la France, abusant de ses forces, voulait tout envahir. Déjà la confiance est rétablie: la plus redoutable de toutes les puissances est sensée d'avoir à cœur que le bonheur commun de la chrétienté».

9 Cet excellent article de Claire Aubaret saura vous en apprendre davantage sur cet atelier des copistes du Roi : https://journals.openedition.org/crcv/12223

10 En considérant que la chirurgie permet de transformer la réalité physique sans modifier la génétique, le portrait d'une personne ayant suivi ce genre d'opération est-il un mensonge ? A vous de répondre dans les commentaires ou de faire votre avis.

Auteur : Mello

Modeste artiste et jeune père de famille, passionné et diplômé en histoire de l'art et en histoire. Parfois j'écris, souvent je dessine ! 🐑
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